Les textes sacrés
Comment traduire les textes sacrés? Faut-il être inspiré par Dieu, ou philologue, anthropologue, poète ? S'agit-il d'actualiser les textes et de transmettre un message clair en supprimant la distance qui nous sépare de ces civilisations très anciennes du Proche-Orient? Doit-on respecter le caractère énigmatique de certains passages et faire ressortir leur dimension poétique? Doit-on faire affleurer la structure de la langue sacrée ou, bien au contraire, la gommer complètement pour faire disparaître toute étrangeté? Et comment s'inscrit-on dans la longue histoire des traductions des textes sacrés?
Les trois religions monothéistes - ou religions du Livre - entretiennent des rapports très différents avec leurs textes fondateurs.
Les textes sacrés du judaïsme, c'est-à-dire la Torah, les Prophètes et les Autres Écrits (désigné par l'acronyme TANAKH) sont nés dans un contexte plurilingue, en contact avec l'akkadien, l'araméen et le grec. Au IIIè siècle avant notre ère, ils furent traduits en grec, par 72 érudits juifs. La religion juive exige cependant un rapport direct à l'original hébreu, mais accepte aussi la loi orale, une aide à la compréhension des textes sacrés, elle-même rédigée en araméen. C'est le Talmud.
Le christianisme traduit les textes hébreux et les textes grecs des Évangiles en latin et désigne cet ensemble comme "Bible" en traduisant un pluriel grec (biblia = les livres) par un féminin singulier. C'est Saint-Jérôme qui crée avec sa "Vulgate" un deuxième "original", transformant le latin en une sorte de langue sacrée secondaire qui occulte ou remplace les langues originales. Depuis la Réforme de Luther, la Bible est traduite dans toutes les langues du monde.
Le Coran aussi est né dans un contexte plurilingue, en contact avec l'araméen, le syriaque et l'hébreu auxquels il fait de nombreux emprunts, et certains mots posent de réels problèmes d'interprétation. Un verset souligne que le Coran est dans "une langue arabe claire", et un autre affirme l'inimitabilité de cette langue qui serait donc supérieure à toutes les autres. La religion musulmane exige aussi une lecture de l'original et écarte toutes les traductions qui existent pourtant en grand nombre.
Tous ces textes que les autorités religieuses essayent naturellement de figer font pourtant l'objet d'un travail incessant de retraduction depuis des siècles, un travail effectué par des théologiens, des philologues et des écrivains.
Au-delà des questions théologiques, philologiques ou poétologiques, ces textes questionnent ce qu'on pourrait appeler notre imaginaire des langues : c'est-à-dire notre façon de situer une langue divine ou adamique, de hiérarchiser les langues, de rêver de la langue parfaite ou de considérer la diversité des langues non pas comme le résultat d'une faute (Babel), mais comme une source de richesse. N'avons-nous pas, chacun de nous, au fond de nous-mêmes, une langue mythique rêvée qui nous rapprocherait de l'origine introuvable.
Dimanche 2 octobre, 14h-15h30
Château du Val fleury, salle du 2e étage